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...au soir.

11/03/2023 (modifié le 11/03/2023) Actualités générales
...au soir.

18h30.

Le dernier client est parti, son petit chien trottinant sur ses talons. Je n’ai pas vu la journée passer. J’ai glissé mes doigts dans moult pelages différents, de la texture rêche et drue du griffon korthals au coton soyeux du chinchilla. De la plume, du poil, de l’humain, tout ça dans le tintinnabullement de la sonnette d’entrée et du téléphone. Tout ce que j’aime. C’est le son de mon cabinet.

A l’heure qu’il est, Elodie ferme les volets et la porte d’entrée. Elle a enclenché le répondeur. Je retourne en salle de chirurgie, où m’attend une patiente plus âgée. C’est une chienne de chasse, une urgence qu’on a intercalée entre deux rendez-vous cet après-midi. Pas bien depuis quelques jours.

« Comment elle boit ? » j’avais demandé.
- Comme un trou ! avait répondu le monsieur.
- Et les chaleurs ?
- Oh, il y a deux mois, quelque chose comme ça »


Je crois qu’on savait déjà, quand il a pris rendez-vous au téléphone, qu’il faudrait opérer sa chienne en urgence. Il avait fallu un coup d’échographie pour confirmer le diagnostic, expliquer les tenants et les aboutissants au monsieur, et prévoir l’opération. Comme il n’y avait vraiment, mais alors vraiment plus de place demain matin, j’avais calé ça ce soir.

Elodie est partie. Elle a croisé mon mari, qui passait déposer le bébé, avant de repartir ; il était pris pour la soirée. Je mets l’enfant au sein avant de lancer l’anesthésie de la chienne, croisant les doigts pour qu’elle s’endorme.
Ma perle d’assistante m’a tout préparé : les instruments, les fils de suture, les compresses, la lame. La cage d’hospitalisation est prête, grande ouverte avec un gros plaid moelleux qui attend à l’intérieur.
L’enfant s’est endormie dans son landau.

A moi de jouer.

21h00.

Je termine d’opérer la chienne. Il fait nuit et le téléphone ne sonne plus depuis longtemps. Mes gants font un claquement feutré lorsque je les retire. C’est toujours étrange de voir le cabinet dans sa version nocturne, si calme et silencieuse. 
Je range un peu le matériel, j’installe la chienne dans sa grande cage, elle est encore intubée mais ne tardera pas à revenir de ce côté-ci du monde.

Tout à l’heure, en plongeant les mains dans le ventre de ma patiente pour retirer son utérus tout infecté, avec mon bébé endormi dans son cosy dans la pièce d’à-côté, j’ai songé que ma vie avait pris un tournant que je ne lui avais pas imaginé. Ça m’a fait sourire.
Surtout, notre enfant, qui dort rarement plus de deux heures d’affilée la nuit ne s’est, par je ne sais quel miracle, pas réveillée en cours de chir. J’ai dû prier assez fort.

Bon, tout s’est bien passé. J’expire un bon coup.

La chienne se réveille.

Le bébé se réveille. 

Je crois que je n’ai même plus faim.

Sur la route du retour, une pensée me frappe soudain : 
« Zut, j’ai oublié d’appeler Mme Bichu ! »

...A demain, cher cabinet.

Naissance d'une vocation (partie 2)
Naissance d'une vocation (partie 2)

24/09/2021 - Actualités générales

Actualités générales

J’ai 18 ans, et mon premier appartement. J’ai quitté mes parents pour rentrer en prépa. Le concours se prépare en deux ans ; le programme est dense, difficile, et, je le sais, les places sont chères. Et si je ne l’avais pas ? C’est une ère sans wifi, sans Facebook, sans textos illimités dont je vous parle… La prépa m’engloutit. Je disparais de mes propres écrans radar pour devenir une machine à apprendre. Mon cerveau se transforme en une bibliothèque à centaines de tiroirs. J’ose le dire : je ne vis que pour ce concours, j’ai mis de côté tout le reste. A mes enfants plus tard j’aimerais dire : ne vous mettez pas tant de pression sur les épaules. Et puis voilà. A force de travail et d’un peu de chance, je l’ai obtenu, mon précieux sésame pour l’Ecole Vétérinaire. Le jour de la parution des résultats, il m’a semblé que je respirais pour la première fois depuis deux ans. J’ai choisi Toulouse, pour changer d’air. J’ai 20 ans. Je vis dans la ville rose. J’étudie. Avec une centaine d’autres de ma promo, nous enchaînons les matières comme les briques de la construction d’un nouveau savoir : anatomie, physiologie, biochimie cellulaire, races bovines, ovines, canines, aviculture, antibiotiques, comportement, nutrition des carnivores… Et puis la médecine, évidemment. Dans l’humidité froide de novembre, nous disséquons de grands cadavres dans un local ouvert à tous vents. Nous apprenons à palper une vache, un cheval, un chien, un cochon d’inde... Nous côtoyons le vivant comme le mort, tout cela fait…partie du métier, n’est-ce pas. Nous visitons élevages laitiers, porcins, avicoles, abattoirs. Nous nous frottons en stage aux toutes premières aspérités de terrain. En 3ème année, j’achète mon premier stéthoscope. Avec cet objet, je me sens déjà un peu docteur…et pourtant le chemin est encore long. Je ne sais pas que ce sera le même qui écoutera le coeur de vos chiens et chats lorsqu’un jour, j’aurai mon propre cabinet. Eh oui…j’ausculte vos animaux avec mon tout premier stéthoscope d’étudiante. C’est un objet de qualité, que j’aime, et dont je prends grand soin. Ce sont cinq ans passés dans l’Ecole. Nous façonnons notre toucher, notre écoute, notre mémoire, notre « sens clinique ». Nos envies, aussi. Chacun, on le sent déjà, va exercer de la façon qui lui ressemble, pourtant pourvu du même bagage. Notre âme de praticien prend en épaisseur, bien avant les premiers remplas. Les examens s’égrainent au fil des mois, comme un chapelet depuis longtemps connu. Parce que ça fait vingt ans qu’on y est, dans ce système scolaire. Et puis un jour il faut passer sa thèse. J’ai 25 ans, je suis dans un amphithéâtre et je parle, devant un jury. Derrière, dans le public : mes parents, qui m’ont toujours soutenue, de la famille, des amis, et aussi, celui qui dans cinq ans deviendra mon mari. J’ai fini de parler. C’est un moment fort pour moi, quand le jury me serre la main. J’ai répondu à leurs questions, j’ai bien travaillé, j’ai eu une mention, j’ai tout validé, ça y est. Mon passage à l’Ecole se clôture. A cet instant, cela me fait bizarre de l’écrire, mais d’émotion, je pleure. A l’intérieur de moi, une petite fille sur son vélo, avec son lapin dans un panier, est là, et elle sourit. J’ai mon doctorat. Je suis…vétérinaire.

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